A. Stachtchenko sur France Culture

Le 24 janvier, l’émission La Méthode Scientifique sur France Culture invitait Alexandre Stachtchenko, cofondateur de Blockchain Partner et Président de l’association Chaintech, pour une émission consacrée au bitcoin et aux cryptomonnaies. Retrouvez ci-dessous des morceaux choisis de l’interview (à retrouver en entier sur le site de France Culture) :

Aborder les cryptomonnaies sous un autre prisme

« Je parle souvent d’une technologie d’architecture, protocolaire, qui va permettre de faire des échanges et des transactions. L’appropriation actuelle de ces sujets par le grand public est bienvenue. En revanche elle ne s’effectue pas forcément de la bonne manière. On parle aujourd’hui de cryptomonnaies en ne les abordant pas sous le bon prisme : au lieu d’aborder la révolution sous-jacente – qui pose des questions de pouvoir, souveraineté, compétitivité… – on entend aujourd’hui surtout parler de spéculation, voire parfois de terrorisme, blanchiment, etc. Très souvent pourtant, les éventuels chiffres qui viendraient étayer ces idées reçues ne sont pas mentionnés – j’attends encore qu’on me présente ces chiffres. En réalité, c’est un procès hypocrite qui est fait aux cryptomonnaies. Les escrocs et criminels n’ont pas besoin des cryptomonnaies : ils utilisent les moyens traditionnels. »

Une révolution sociétale

« C’est une révolution bien plus que technique : c’est une révolution sociétale. Internet était également une révolution sociétale mais celle-ci s’est perdue en chemin, en quelque sorte : aujourd’hui par exemple, la liberté d’expression sur Twitter n’est pas la liberté d’expression de l’Union Européenne (c’est la liberté d’expression américaine : ainsi, un nu sera censuré). Aujourd’hui sur les cryptomonnaies il est essentiel qu’on puisse entamer un véritable débat sur les sujets de fond, parmi lesquels cette révolution sociétale. »

Aux sources de Bitcoin

« Avant Bitcoin, les tentatives de monnaies numériques avaient toujours buté sur un obstacle : sans autorité centrale, on n’arrivait pas résoudre le problème de la double dépense (dépenser deux fois un même jeton de monnaie). Or à partir du moment où il est nécessaire de faire confiance à quelqu’un, on retombe sur un système classique. La crise financière a été un terreau très fertile à l’idée d’une monnaie qui ne dépend ni des Etats, ni des banques, en raison de la forte défiance envers les banques que la crise a alors engendré. Les épargnants ont pu se demander ce que leur banque faisait concrètement de leur argent, et il est possible que les banques elles-mêmes ne savaient pas y répondre. »

Bitcoin se nourrit de la défiance envers le système financier

« Bitcoin se nourrit des crises du système financier. La crise financière de 2007-2008 a développé un terreau fertile. De même, quand en 2013 la crise chypriote conduit l’Etat sur place à imposer aux épargnants de la principale banque du pays une ponction allant jusqu’à 47,5% des dépôts supérieurs à 100 000 euros, le bitcoin sort renforcé. Même chose quand la banque centrale indienne annonce fin 2016 que les billets de 500 et 1000 roupies vont être retirés de la circulation. Le bitcoin se nourrit de la défiance envers le système financier – et de ceux qui en sont exclus, ce qui est un élément essentiel au vu du nombre d’individus non-bancarisés sur la planète. »

Du cash électronique pair-à-pair, qui crée de la rareté numérique

« L’apparition du bitcoin a permis de créer du cash électronique pair-à-pair. Il s’agit d’un actif numérique liquide, indépendant, sans autorité centrale, sans tiers de confiance. Internet avait décentralisé l’information. Bitcoin crée la même chose pour la monnaie. Jusqu’alors, il y avait des monnaies nationales. Avec Bitcoin, on voit apparaître une monnaie numérique, qui ne dépend pas des Etats.

Au cours de l’Histoire, il y a longtemps eu une idée de rareté s’agissant de la monnaie : on se sert de l’or parce que c’est rare et compliqué d’en trouver. Depuis la fin de l’étalon-or, on s’est séparé de cette idée. Aujourd’hui cela nous semble naturel d’effectuer du quantitative-easing alors que cela fait moins d’une cinquantaine d’années que c’est une pratique acceptée. Bitcoin empêche ce principe dans son protocole même, et permet ainsi de créer de la rareté numérique. »

Sécurité : les failles sont avant tout humaines

« Même hors blockchain, on a tendance à se focaliser uniquement sur la sécurité technique, à tort. N’importe quel expert en cybersécurité vous dira que la principale cause des hacks se passe entre l’ordinateur et la chaise, c’est à dire l’humain. Souvent ce n’est pas le système informatique qui est en cause, quand bien même il serait extrêmement sécurisé…Techniquement Bitcoin s’approche de la perfection mais l’existence de mots de passe sur les cryptomonnaies (les clefs privées) constitue une faille humaine, comme dans tout système informatique. »

La question de la fongibilité, trop peu abordée

« Bitcoin fait partie des monnaies les plus traçables du monde. Mais cette question pose celle de la fongibilité, trop peu souvent abordée : si l’on peut identifier le fait qu’un bitcoin est passé entre les mains d’un terroriste,, alors on peut se dire que ce bitcoin vaut moins cher qu’un autre, puisqu’on aura plus de mal à le dépenser, étant donné que c’est un bitcoin « sale ». Ce bitcoin pourra par exemple valoir 10 000 euros et un autre 11 000 euros. Or dans la monnaie, nous ne sommes pas censés pouvoir différencier un jeton d’un autre. »

Demain, des transferts de valeur programmables

« On parle de plus en plus de cryptoactifs plutôt que de cryptomonnaies. Le fait de parler de monnaies centralise le débat sur la question de savoir si les cryptomonnaies sont des monnaies ou non. Or il existe de multiples définitions de la monnaie. Certaines définitions incorporent par exemple l’idée qu’une monnaie devrait être émise par un Etat, ce qui est très contestable. Le terme de cryptoactif permet de se rendre compte qu’on n’est pas simplement en train de parler d’une monnaie. Aujourd’hui il est de plus en plus question de ‘tokenisation’ (‘jetonisation’, en français) : représenter numériquement de la valeur et lui faire prendre toutes les caractéristiques d’un jeton fondé sur une blockchain. Le potentiel de ce mécanisme est considérable : il peut concerner les actifs, les actions, les votes…Au-delà de l’échange de cryptomonnaies, qui est la première phase, actuelle, il est aussi déjà possible de programmer des transferts de valeur. On décentralise alors la confiance et son exécution. »

–> Ecouter l’émission dans son intégralité

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