Les blockchains et les cryptoactifs constituent une innovation de rupture dont l’ampleur est encore aujourd’hui sous-estimée. Les cryptoactifs vont permettre l’émergence d’applications dites décentralisées, qui forment ensemble un nouveau web, le web décentralisé. Au-delà du seul web, c’est une nouvelle économie numérique qui s’ouvre : la « token économie ». Celle-ci représente une chance inouïe pour la France, qui avait raté le train de la première révolution numérique.
Grâce à l’action de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), la France adoptera prochainement un cadre réglementaire équilibré sur les ICO, via l’introduction d’un visa optionnel.
Les ICO ne sont cependant qu’un pan du sujet « crypto ». Pour que la France puisse être aux avants-postes du web décentralisé et de la « token économie », plusieurs freins liés aux cryptoactifs doivent impérativement être levés (rapidement).
Ainsi, malgré la décision, jeudi dernier, du Conseil d’Etat relative à la fiscalité des cryptomonnaies, la situation fiscale reste complexe et injuste pour un grand nombre d’acteurs, et contribue de ce fait à une hémorragie de talents vers les pays voisins.
Pour que la France puisse renverser la tendance, nous soumettons 10 propositions à destination des pouvoirs publics.
• Banques : agir pour lever un blocage aujourd’hui très pénalisant pour l’écosystème français : la quasi-impossibilité actuelle pour les entrepreneurs du secteur « crypto » de créer un compte bancaire professionnel dans un établissement français. Or sans compte bancaire, pas d’entreprises.
• Fiscalité des particuliers : assujettir les gains en cryptoactifs au Prélèvement Forfaitaire Unique, comme les autres gains en capital, et permettre ainsi de limiter la fuite de nos talents grâce à un régime juste.
• Fiscalité des entreprises et comptabilité : clarifier, en accord avec les professions concernées, le traitement comptable des cryptoactifs ainsi que l’exonération de TVA en cas d’opération de change. En outre, des mesures d’incitations fiscales spécifiques destinées aux acteurs qui créent l’innovation (les startups blockchain et crypto françaises) doivent être envisagées si la France entend prendre le leadership en Europe.
• Europe : favoriser une harmonisation des différentes politiques fiscales en Europe en matière de cryptoactifs, dont l’absence empêche aujourd’hui la constitution d’une « Europe du web décentralisé ». Plus globalement, il est crucial d’agir pour une coordination, aujourd’hui quasi inexistante, des différentes politiques menées par les pays européens en matière de cryptoactifs.
• Prises de positions publiques : adopter un discours officiel encourageant sur les cryptoactifs, qui mette en avant leurs opportunités et non uniquement leurs risques. Il serait notamment judicieux que les pouvoirs publics mettent en place des actions de communication (visites, discours officiels, tribunes…) pour faire comprendre l’importance du web décentralisé et ses opportunités en termes d’emploi et d’entrepreneuriat – ceci afin de susciter plus de vocations dans ce secteur naissant.
• Education : encourager les créations de cursus spécialisés en blockchain et en cryptoactifs, en particulier dans les écoles d’ingénieurs et d’informatiques, pour lutter contre la pénurie de talents dans le secteur.
• Recherche : inciter le monde de la recherche (en économie, cryptographie, finance, droit, développement durable, géopolitique, histoire, gouvernance des organisations…) à investir les sujets de blockchains publiques et cryptoactifs. En particulier, soutenir la création de chaires de recherches dédiées au nouveau champ d’étude que représente la cryptoéconomie.
• Ecosystème : pour les prochaines réflexions et décisions en matière de blockchains et cryptoactifs, adopter une posture d’écoute et dialogue systématique avec l’association Chaintech qui représente les acteurs des blockchains et cryptoactifs en France. Au-delà, il est important de soutenir le travail réalisé par les communautés françaises (Chaintech, Cercle du Coin, CryptoFR…) afin de leur permettre de continuer leur travail d’éducation, de pédagogie, de déconstruction des idées reçues, et d’alerte face aux arnaques (effectué aujourd’hui en parallèle du travail réalisé au sein des startups blockchain françaises).
• Lutte contre les risques : renforcer la protection des investisseurs et des particuliers contre les arnaques, via des actions de pédagogie, des sanctions exemplaires (notamment pénales), et une coordination en amont avec les représentants des communautés susmentionnées, qui identifient et répertorient les projets frauduleux (voir la liste tenue à jour par CryptoFR). En outre, il serait opportun de mettre en place un agrément (équilibré) pour les opérateurs de cryptoactifs, qui contrôlerait les compétences et le sérieux des porteurs de projets, leur structuration juridique et capitalistique, et la légalité des dispositifs employés.
• Diversité : encourager l’engagement des femmes dans le secteur blockchain et cryptoactifs via des actions de pédagogie et de communication (pouvant être conjointes avec les initiatives déjà menées dans le secteur numérique plus globalement), pour lutter contre le manque de diversité du secteur.
NB : Ces propositions sont issues du rapport « L’Age du web décentralisé » de Clément Jeanneau publié ce mois-ci par la Fondation Digital New Deal, et ont été présentées le 23 avril par Alexandre Stachtchenko, Clément Jeanneau et William O’Rorke lors de leur audition devant la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale dans le cadre de la mission d’information sur les monnaies virtuelles.
Sur le même sujet : voir aussi ce talk TEDx sur le web décentralisé